LE MAÎTRE DE JEU N’EST PAS NÉCESSAIRE AU JEU DE RÔLE

 

TITAM - JDR Mag 29 - Le MJ n'est pas nécéssaire au JdR
Romanric Briand

Le système d’un jeu (NdlR: bon nombre d’éditeurs préfèrent avoir recours au mot «dispositif» pour parler de l’organisation des joueurs autour d’une table de jeu, du fait qu’il y ait ou non un animateur, que les joueurs aient en charge des personnages sur un pied d’égalité (ou non).) est l’ensemble des règles qui s’appliquent à ceux qui participent à ce jeu. Il a pour objectif de dire quel participant fait quoi, quand et comment. Le système d’un jeu x produit donc un ensemble de contraintes qui orientent les joueurs vers une partie de x. Le système donne à chacun des droits et des devoirs pendant la partie. Dans le cadre spécifique d’une partie de jeu de rôle, ces droits et ces devoirs invitent les participants à créer un contenu fictionnel malléable par ces derniers. Par conséquent, une partie des règles d’un jeu de rôle doit donner aux participants des responsabilités sur les situations décrites dans le contenu fictionnel malléable au cours de la partie.

Parmi l’ensemble infini des systèmes de jeu possibles, l’un d’entre eux est devenu hégémonique: le système traditionnel aussi appelé le système classique. On dit d’un jeu de rôle qui utilise le système traditionnel qu’il est un jeu de rôle classique. Dans le cadre de ce dernier, un joueur est appelé le Maître du Jeu (le MJ) tandis que les autres joueurs sont invités à interpréter un Personnage-Joueur (un PJ). Durant la partie, le maître du jeu est le maître du monde. Il a la responsabilité de décrire toutes les situations (décors, personnages et événements divers) du contenu fictionnel malléable à l’exception des situations engendrées par les personnages des autres joueurs. Ainsi, par contraste, les autres joueurs ont chacun la responsabilité de la volonté d’un personnage qui parcourt le monde mis en place par le maître du jeu.

TITAM - JDR Mag 29 - Le MJ n'est pas nécéssaire au JdRPendant longtemps, on a cru (et beaucoup le croient encore) que le jeu de rôle n’était rien d’autre que le système classique. Pour tous les créateurs de jeux (dont j’ai fait partie) il semblait évident qu’il faille un MJ et un et/ ou des PJ(s) pour jouer au jeu de rôle. De fait, durant cette période, on s’est mis à appeler «système» uniquement la part des règles dévouée à la résolution des actions de nos personnages. L’univers et le système de résolution demeuraient les seules originalités possibles d’un jeu de rôle. Le système classique, quant à lui, était devenu une évidence. «Le jeu de rôle, vous savez tous naturellement de quoi il s’agit? Non? Alors, si vous ne savez pas, jouez avec des gens qui savent ou allez voir les diverses plaquettes de présentation proposées par les éditeurs ou par la Fédération Française de Jeu De Rôle.»

Mais ces plaquettes sont totalement fausses et trompeuses. Elles présentent le système classique comme s’il s’agissait du jeu de rôle, alors que le système classique n’est qu’un système parmi les autres. C’est exactement comme si on vous montrait la société française en affi rmant: «Voilà la société humaine». Aujourd’hui et hier, de nombreux jeux de rôle se passent ou se sont passés du système classique: Polaris, de Ben Lehman; Prosopopée de Frédéric Sintès; Inflorenza, de Thomas Munier; La saveur du ciel, de Fabien Hildwein ou encore Perdus sous la pluie de Vivien Féasson; etc. Cela signifie clairement que le maître de jeu n’est pas nécessaire au jeu de rôle. Il n’est que l’artefact d’un système particulier.

Pire encore, le Maître de Jeu n’a jamais existé
Maître de Donjon (MD) ou Dungeon Master (DM) dans Donjons et Dragons ; gardien des arcanes dans L’Appel de Cthulhu; Conteur dans les jeux de White Wolf ; Éminence Grise dans Agone; Divine Rose Trémière dans Nobilis… mais d’où vient le terme Maître du Jeu?

De nulle part. C’est un terme flou, fourre-tout, qui essaie (sans y parvenir) d’embrasser la totalité des prérogatives de tous les joueurs très divers cités ci-dessus. Mais en réalité, les rôles du Maître du Donjon, du Gardien des Arcanes, du Conteur, de l’Éminence Grise et de la Divine Rose Trémière sont totalement incomparables. L’un est l’adversaire; l’autre le guide. L’un doit faire vivre de longues histoires à ses PJs; l’autre doit les tuer le plus froidement possible, etc.

Tous les gens qui présentent des recettes pour devenir un bon meneur de jeu parlent pour ne rien dire. Leur vision classique du jeu de rôle écrase les singularités de chaque jeu de rôle. Ces théoriciens prétendent vous donner des conseils universels et omettent de vous dire que le concept même de maître du jeu qu’ils emploient est une pure invention, une chimère, une illusion. En revanche, ces mêmes personnes pourraient donner de très bons conseils, si elles circonscrivaient leur analyse à l’un des nombreux joueurs ci-dessus. On peut donner des conseils utiles à un Maître du Donjon. On peut donner des conseils utiles à une Divine Rose Trémière. Mais on ne peut pas donner de conseil à un Maître de Jeu dans l’absolu.

TITAM - JDR Mag 29 - Le MJ n'est pas nécéssaire au JdRQuant au système classique, formalisé ci-dessus, utilisé tel quel par de nombreux jeux de rôle, nous savons aujourd’hui (grâce notamment aux travaux de The Forge) qu’il est contradictoire et source de désaccords majeurs entre les participants. Si le système classique est appliqué à la lettre, il dysfonctionne (cf. Le truc impossible avant le p’tit déjeuner).

Bref, le maître du jeu n’a jamais existé et de toutes façons, s’il existe, il est nul.

C’est quoi un bon maître du jeu?
Je peux dire ce qu’est un bon Maître du Donjon, mais je ne peux pas dire ce qu’est un bon Maître de Jeu dans l’absolu. Quelqu’un n’est bon que dans le contexte d’un système donné. La question « un bon maître est-ce important?» n’a tout simplement pas de sens, si on ne nous dit pas dans quel système il se situe.

Un bon joueur est un participant qui sait utiliser et appliquer correctement les règles d’un jeu. Un bon jeu, c’est un jeu qui fournit à ses participants les sensations qu’ils attendent. Donc, un bon Maître du Donjon est avant tout un joueur qui applique les règles de Donjons et Dragons. Si les parties de Donjons et Dragons produites par ce joueur et par tous les autres participants sont jugées bonnes, alors on dira du maître du donjon qu’il est bon. Mais en réalité, ce qu’on veut dire, c’est que Donjons et Dragons est un bon jeu.

Ainsi, il n’y a pas de bons maîtres de jeu et de mauvais maître de jeu, seulement des joueurs qui appliquent correctement les règles de bons jeux ou de mauvais jeux. Or, ce dernier jugement est subjectif puisqu’il dépend de vos attentes personnelles vis-à-vis du jeu. Ne jugez pas les performances de vos amis. Ne jugez pas vos amis. Jugez les systèmes. Jugez les jeux.

Romaric Briand.

 

Bio: Romaric Briand est l’auteur d’un jeu de rôle à portée philosophique dans un monde SF. Auto-éditeur, il a déjà publié Sens Renaissance, Sens Mort et Sens Néant. Trois autres tomes sont attendus. Il est en outre l’inventeur des règles du jeu de cartes Le Val. Il mène parallèlement une réflexion sur le fonctionnement du jeu de rôle et son impact sur l’imaginaire. Sa dernière publication sur le sujet est Le Maelstrom.

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