LE GN ROMANESQUE
GENRE À PART OU TENDANCE LOURDE ?
EN SE DÉMOCRATISANT, LE GN S’EST OUVERT À DES INFLUENCES VARIÉES. LES AUTEURS, LES ORGANISATEURS ET LES JOUEURS ONT EXPÉRIMENTÉ ET CRÉÉ DE NOUVEAUX FORMATS. UNE DES TENDANCES LOURDES DE CES DIX DERNIÈRES ANNÉES EST L’ÉMERGENCE D’UNE VEINE ROMANESQUE PROLIXE, NOTAMMENT EN FRANCE.
LE PERSONNAGE COMME FIGURE PRINCIPALE DE LA NARRATION
Du roman, le GN romanesque reprend l’amour de l’histoire et des personnages. On y retrouve des constructions narratives parfois très élaborées. Le personnage n’est pas, ici, un élément que l’on insère dans une histoire, dans une quête qui chapoterait tout le jeu. Il est intrinsèquement cette matière vivante. C’est par son passé, souvent foisonnant, et ce qu’en fera le joueur dans la situation actuelle qui va construire le récit et l’expérience ludique.
L’INTENSITÉ COMME ÉTENDARD
Dans un cadre comme celui-là, chaque personnage doit être unique, voire exceptionnel. Que ce soit par son rang, son histoire, ses faiblesses, ses qualités, il sort du lot. Il foisonne de possibilités de jeu, de promesses d’interactions. Il existe néanmoins un gouffre entre disposer d’un personnage intéressant et les possibilités de le jouer, de déployer cette potentialité. Pour concentrer et intensifier le jeu, le GN romanesque use d’un artifice astucieux. Le contexte est présenté comme une bascule dans la vie du personnage. C’est maintenant ou jamais. C’est dans ces quelques heures que tout va se jouer. Ses amours, ses ambitions, sa rédemption, sa vengeance, etc.
L’intensité n’est possible que si l’immersion est forte. L’enjeu n’est pas de créer un décorum réaliste mais plutôt de préparer les imaginaires et de leur permettre de se déployer. Les backgrounds sont un bon début pour y arriver. Les GN romanesques y ajoutent régulièrement des ateliers pré-GN qui permettent de glisser tranquillement dans le jeu et dans son personnage pour arriver en jeu imprégné de la situation que l’on va vivre. Il s’agit aussi parfois d’ateliers plus techniques décrivant des meta-techniques utilisées en jeu pour simuler des situations (typiquement, les confrontations physiques et les rapports charnels sont souvent l’objet de ces techniques).
RAISON ET SENTIMENTS
Un des plaisirs du GN romanesque est de vivre intensément des scènes où les sentiments sont à leur apogée. Il arrive régulièrement de ressentir intimement ces affects. Si les situations sont factices, les émotions sont, elles, bien réelles. Vivre vite et fort pendant la durée d’un GN est grisant. L’adrénaline coule dans vos veines, vous êtes acteur ou témoin de moments extraordinaires au sens propre du terme. Il n’est d’ailleurs pas rare, une fois le jeu terminé, d’avoir du mal à se détacher de ces émotions et de celles et ceux qui les ont portées. La maturité arrivant, les jeux prennent maintenant la sécurité émotionnelle très au sérieux en proposant des mécaniques en jeu de type safeword. Une façon de pouvoir sortir du jeu si le besoin s’en fait sentir. Les fins de jeu sont aussi plus douces permettant à chacun de redescendre tranquillement par des ateliers spécifiques ou de manière plus informelle.
DES CONTEXTES HISTORIQUES OU IMAGINAIRES VARIÉS
Le GN romanesque sort souvent des sentiers battus quand au contexte. On en trouve dans des univers réalistes contemporains (communauté hippie, week-end entre copains…), dans de l’historique proche ou lointain (guerre d’Algérie, maison de maître au XIXe siècle, bande de punks dans les années 80, la Commune de Paris, les cahiers de doléance dans un petit village français, la seconde guerre mondiale dans un village, etc.), dans de l’anticipation ou du fantastique (centre de clonage, famille bostonienne lovecraftienne). Cette variété est souvent assortie d’intentions fortes de la part des auteurs sur les thématiques qu’ils souhaitent aborder (rapports de domination, mécanique familiale, la nostalgie, les rapports amoureux) et assure un renouvellement permanent du genre.
DES FORMATS FORCÉMENT RESTREINTS
Se baser sur des personnages forts avec une volonté affichée qu’ils portent l’histoire trouve rapidement ses limites en termes de nombre de joueurs. Une quarantaine de joueurs semble une barrière difficilement franchissable et les quelques tentatives de la dépasser se sont soldées par des échecs. Le nombre dilue immanquablement l’intensité et accroît de manière exponentielle le travail de l’auteur. Le format récurent de cette typologie de GN reste très souvent entre vingt et trente personnes.
MAIS DU COUP, IL Y A TOUJOURS CINQUANTE PAGES DE BACKGROUND À ABSORBER?
Les pratiques varient. Il n’est pas rare de voir des backgrounds d’une vingtaine de pages écrits par l’auteur. À l’inverse, certains jeux vous demanderont de créer votre personnage, votre groupe de joueurs. D’autres vous fourniront quelques pages en comptant plus sur le contexte catalyseur que sur l’écriture des personnages. Là aussi la variété est grande et la seule règle est de vouloir créer des interactions fortes.
DU CASTING COMME NÉCESSITÉ OU COMME FAÇON DE RESTER ENTRE SOI
Même si ce n’est pas systématique, beaucoup de GN romanesques pratiquent le casting. Plusieurs raisons sont invoquées qui vont de la nécessité de trouver la bonne adéquation joueur / personnage à la volonté de faire jouer son cercle d’ami. C’est l’un des principaux reproches que l’on peut adresser aux GN romanesques. Accéder à certains jeux relève parfois du parcours du combattant tant que vous n’avez pas été adoubé par la communauté ou que quelqu’un ne vous y parraine pas. La taille resserrée des formats et l’intensité du jeu qui y est développée finit de souder une communauté de joueurs qui peut sembler hermétique. Il suffit pourtant bien souvent d’aller à un rendez-vous organisé par une association ou de les contacter via un réseau social (Facebook reste un outil indispensable au GNiste romanesque) pour se faire connaître et être invité sur ses premiers jeux.
MEDBOURE VS. ROMANESQUE: POURQUOI PAS AMIGA CONTRE ATARI TANT QUE VOUS Y ÊTES?
C’est un vieux poncif. Les gamistes à épée en mousse contre les bobos sentimentalistes. Ce débat stérile cache une réalité beaucoup plus contrastée. De nombreux jeux placent le curseur de manière différente en fonction des sujets qu’ils veulent aborder, introduisant du romanesque dans des jeux plus gamistes ou des mécaniques gamistes dans des jeux romanesques. L’important, au final, est d’avoir un champ des possibles dans lequel puiser pour permettre aux auteurs de créer leurs jeux et aux joueurs de trouver chaussure à leur pied.
Sylvain RUDA
ROMANESQUE
Qui se rapporte au genre du roman ou en a les caractères: l’oeuvre romanesque d’un écrivain.
Qui rappelle l’aspect sentimental, aventureux ou merveilleux des situations de certains romans: des aventures romanesques.
Chez qui prédomine le sentiment, l’imagination, la rêverie: avoir une imagination romanesque.