ROMANS
CETTE FIN DU MONDE QUI N’EN FINIT PLUS…
ALORS QUE 89 % DES PARTIES DE JEU DE RÔLE ONT POUR BUT D’ÉVITER LA FIN DU MONDE (MÊME SI AU DÉPART IL S’AGIT JUSTE DE CONVOYER UNE BANALE CHARRETTE DE FOIN ENTRE DEUX VILLAGES), L’INACTIVITÉ LIÉE AU CONFINEMENT, TOUJOURS EN VIGUEUR À L’HEURE OÙ J’ÉCRIS, NOUS DONNE LA POSSIBILITÉ DE (RE)DÉCOUVRIR À TRAVERS CETTE PETITE SÉLECTION D’OUVRAGES À LIRE SANS MASQUE NI GANTS QUELQUES UCHRONIES OÙ ELLE A BEL ET BIEN EU LIEU.
1943 – René Barjavel, Ravage, Folio
En 2052, une gigantesque panne électrique contraint hommes et femmes à admettre l’impensable: la chute presque instantanée de la civilisation et la découverte de leur dépendance à la technologie. C’est dans un Paris futuriste (mais sans trottinettes ni embouteillages) que l’on suit la catastrophe, le vent de panique qu’elle provoque et ses conséquences. Précurseur de la science-fiction française, il se dégage quelque chose d’un peu désuet de ce roman d’anticipation à l’humour pince-sans-rire qui peut, à l’occasion, évoquer (un peu) le Playtime de Jacques Tati.
1972 – Robert Merle, Malevil, Folio
Parce qu’ils se trouvaient dans une cave à vin à ce moment-là, quelques membres d’une communauté villageoise du Périgord survivent à l’apocalypse nucléaire (comme quoi l’apéro sauve des vies, à méditer)… Lorsqu’ils émergent de leur abri, la population a quasiment disparu mais les radiations se révèlent inoffensives. Survivre dans un monde redevenu hostile devient leur préoccupation quotidienne. Servi par une écriture impeccable, il s’agit-là d’un classique dont les années n’ont en rien altéré la puissance d’évocation.
1979 – Jean-Pierre Andrevon, Les retombées, Le passager clandestin
«En 1979, Jean-Pierre Andrevon imagine un coin de France, le jour d’Après… On ne sait ni où, ni comment, ni pourquoi, mais c’est arrivé. Ces quelques individus épars se sont trouvés dans le brouillard lourd et épais, et se serrent les coudes en attendant d’en savoir plus. (…) Au bout de leur errance dans la campagne française, certaines réponses ne vont pas tarder à surgir. Paru l’année de l’accident de la centrale de Three Mile Island, Les retombées, nouvelle d’anticipation inquiétante et sombre, offre un scénario possible de la catastrophe nucléaire et de la gestion d’urgence mise en oeuvre par les autorités. L’objectif: effacer toute trace de l’accident, faire comme si ce qui n’aurait jamais dû se produire n’avait jamais eu lieu.» (Site de l’éditeur) Sept ans plus tard, les autorités soviétiques chercheront à également à minimiser l’impact et les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl.
1980 – Christian Charrière, La Forêt d’Iscambe, Points
«Notre civilisation n’est plus: une forêt gigantesque s’étend sur la moitié de l’Europe. Un ermite et son disciple font route vers les ruines de Paris. Captivé, émerveillé, le lecteur s’engage à leur suite dans cette forêt extraordinaire, peuplée de termites géantes et de fleurs carnivores, de héros déchus et de milices sanglantes… On entre dans La Forêt d’Iscambe et on en sort changé à jamais. » (Site de l’éditeur) Christian Charrière (1940-2005) a-t-il été, du moins avec ce livre, «le Tolkien français» comme cela a parfois été dit? À chacun de s’en faire une idée en s’enfonçant dans cette forêt d’Iscambe qui pourrait également ravir les amateurs de Bitume.
1980 – 1992 – Georges-Jean Arnaud, La Compagnie des glaces, French Pulp
Au XXIe siècle, la Lune, devenue un dépotoir de déchets nucléaires, explose. Les conséquences sont dramatiques pour la Terre, plongée rapidement dans une nouvelle ère glaciaire. Deux cents ans plus tard, l’humanité survit grâce à de gigantesques compagnies ferroviaires qui ont quadrillé la planète, assurent un peu de chaleur mais octroie beaucoup moins de libertés… Dans ce monde passablement hostile, Lien Rag, glaciologue de son état, va tenter de secouer le joug de ces dictatures sur rails. Immense saga héritière des feuilletons du XIXe siècle, La Compagnie des glaces se compose de 62 volumes parus initialement chez Fleuve noir. À noter qu’un jeu de rôle en avait été tiré en 1986. Pas particulièrement réussi, il n’a jamais trouvé son public et a rapidement disparu des boutiques. Renseignements et reboot sous la forme d’un jdra ici: www.gss.online.fr
2004 – Jacqueline Harpman, La Forêt d’Ardenne, éditions Le Grand Miroir (épuisé)
Ce court roman, le plus onirique de cette sélection, met en scène une curieuse armée de survivants nomades. L’immense forêt qu’ils parcourent est le théâtre physique et mental d’un périple sur lequel le temps semble avoir peu de prises… Que fuient-ils? Quelle est leur mission? La guerre est-elle finie? Sont-ils les derniers? Qui est leur ennemi? Jacqueline Harpman s’interroge sur le mystère de l’Humanité: sommes-nous le rêve d’un Dieu qui dort? Question qui fera immanquablement penser tout rôliste sachant rôler à au moins deux classiques du JdR…
Deux remarques s’imposent: qu’il s’agisse d’Apocalypse Zombie, La colère des dieux, Invasion extra-terrestre ou La révolte des machines (à paraître), aucune de ces fins du monde n’a été traitée (et ne le sera) par la gamme parue chez Edge. Certes, elle ne se préoccupe pas vraiment des causes ayant provoqué la catastrophe, et il est par exemple toujours possible d’imaginer qu’une catastrophe nucléaire attire la colère des dieux (mais on demande à voir en quoi une panne électrique mondiale déclencherait une invasion extra-terrestre). Par ailleurs, et c’est plus anecdotique (quoique…), il n’aura échappé à personne que les auteurs cités dans cet article ont les prénoms suivants : René, Robert, Jean-Pierre, Christian, Georges-Jean et Jacqueline. Je pressens que vivre dans un monde où ces prénoms auraient encore cours ne pourrait signifier qu’une chose: imminente ou pas, atomique ou virale, la fin du monde deviendrait surtout souhaitable…
Pierre-Olivier CERVESI.