EXPÉRIENCES INTERDITES OU COMMENT DES SUPER-HÉROS TEXANS VONT SAUVER LE MONDE

TITAM - JDR MagClé en main
Auteur: Jérome V.
Illustrateurs: Tania Sanchez-Fortin, Sébastien Lhotel
Éditeur: XII Singes
Genre: Contemporain

TRAITS
Background:
-Intéressant
-Dynamique
-Touffu

Gameplay:
-Innovant
-Fertile

Produit:
-Fonctionnel
-Ecrit petit
-Peu illustré

Autant le dire, au vu de la couverture et du titre, je m’attendais à un remix d’Apocalypse now au milieu de la jungle asiatique du XXIe siècle, où l’on joue un groupe de militaires ricains coincés par des hordes de Coréens hostiles… et en fait pas du tout ! Très bonne surprise, World War Korea est un nouvel opus de la collection «Clé en main» original, intéressant et bien loin de la première (fausse) impression qu’il pouvait donner.

Ce à quoi on s’attendait…

Acheter un «Clé en main», c’est acheter une valeur sûre car bien calibrée. Ici, pas de surprise à première vue: une pochette couleur dont l’intérieur constitue une carte du monde bien utile et bien stressante et qui contient les fiches de règles «version 3!» (en ligne gratuitement pour ceux qui voudraient se la procurer pour leurs «Clé en main»), des personnages prêts à jouer, des aides de jeu (en couleur ! même si celle-ci n’est vraiment utile que pour le fac-similé de carte couverte de post-it), et un livret de campagne en noir et blanc. Celui-ci est dense, écrit petit et pas très riche en illustrations – mais attend-on une débauche d’illustrations d’un «Clé en main»? Le système de règles repose, comme dans les opus précédents, sur un test de trois d6 + Compétence afin de battre une difficulté fixée par le MJ. La campagne commence par un scénario d’introduction qui ouvre sur les différents modules possibles à explorer dans l’ordre choisi par les joueurs, le tout débouchant sur une fin multiforme qui dépend des réussites et des échecs des personnages. Jusqu’ici, R.A.S.

…et ce à quoi on ne s’attendait pas!

Cet opus off re néanmoins un certain nombre de surprises qui sont bienvenues, à commencer par l’intrigue principale. En effet, loin de correspondre à mon horizon d’attente, l’histoire proposée repose sur un mélange apocalyptique de problèmes écologiques majeurs et de tensions économico-géopolitiques, notamment entre la Chine et les États-Unis, mâtiné de manipulations génétiques et de nouvelles technologies convergentes. Finalement, on se retrouve à jouer des posthumains dans une Amérique dévastée par la guerre qui vient de l’Est. Et pas n’importe quels posthumains! Des Texans affublés de proches exotiques qu’il va falloir gérer, du petit chien «Mister Punky» à l’épouse française classe et cultivée… Nous l’avons testé pour vous, le roleplay est au rendez-vous et les situations peuvent s’avérer cocasses.

Ce n’est pas tout: WWK offre quelques particularités de gameplay bien trouvées. Les jauges de menace tendent à bouger selon les actions des joueurs et le chrono tourne tout au long de la campagne (eh oui! c’est la guerre!). Mais voilà que l’une d’entre elles dépend des actions des personnages, et plus précisément de l’utilisation de leurs pouvoirs… Ainsi, le groupe se retrouve à danser sur la corde raide, confronté perpétuellement à un choix par essence tragique (car il n’y a pas de bonne solution): atteindre brillamment ses objectifs en usant de ses pouvoirs et sauver le monde en provoquant toutefois des ravages écologiques peut-être irréversibles ou bien se contenter de sa médiocrité humaine en préservant l’écosystème terrestre d’une menace incontrôlée.

Ça bourre!

TITAM - JDR MagTrès basiquement, il s’agit d’une campagne où se mêlent à parts égales action et investigation. Investigation car les joueurs sont tout de suite immergés au coeur d’événements mystérieux dont ils vont devoir trouver les clés pour pouvoir agir. Ainsi, une grande partie du jeu repose sur l’enquête menée, de manière plus ou moins musclée, par les personnages.

Mais attention, on l’a dit, c’est la guerre, et les personnages vont être également soumis à nombre d’événements d’une rare violence (et d’une extrême bourrinitude, si les joueurs choisissent la voie des super-héros). L’introduction est, en elle-même, un concentré percutant de fuite désespérée, de fusillade aveugle et de balles perdues qui annonce la couleur et plonge immédiatement les joueurs dans l’ambiance martiale qui va les suivre tout au long de l’intrigue.

Mais ça fait réfléchir aussi

L’action, c’est bien, mais quand elle est porteuse de sens, c’est mieux ! Ceux qui considèrent que, d’une certaine manière, le jeu de rôle est (aussi) une forme d’expérience de pensée seront également comblés car de nanomachines en expériences génétiques, en passant par les manipulations de multinationales pourries et par la dégradation rapide de l’écosystème terrien, WWK donne aussi à réfléchir sur le monde qui nous entoure. Mieux, le dilemme que pose le système des pouvoirs des joueurs est une sorte de schématisation des deux attitudes qui s’affrontent aujourd’hui autour des questions technologiques: la fuite en avant (on pollue pour résoudre au mieux les problèmes, on finira par s’en sortir en trouvant une solution miracle) ou le principe de précaution (mieux vaut s’abstenir que de polluer à tout va en espérant trouver une hypothétique solution). Ainsi, les joueurs vont se retrouver confrontés à un choix riche en sens et en situations de jeu, car la décision collective risque de ne pas faire l’unanimité autour de la table…

Alors? Alors, malgré une attente faussée par un titre et une couverture pas forcément parlants, on se retrouve avec le dernier rejeton d’une lignée à valeur sûre, pêchu, intelligent et inventif, plus intéressant que ses grands frères 2012 : Extinction et Solipcity malgré sa parenté apocalyptique avec eux.

Isabelle Périer

 

 

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