EXPOSITION
ROYAUMES OUBLIÉS DE L’EMPIRE HITTITES AUX ARAMÉENS

CE N’EST PAS UN TOUR EN FAËRUN QUE VOUS PROPOSE LA NOUVELLE EXPOSITION DU MUSÉE DU LOUVRE, DONT J’AI L’HONNEUR D’ÊTRE LE COMMISSAIRE, MAIS PLUTÔT L’EXPLORATION DES VESTIGES MAJESTUEUX D’ANCIENS ROYAUMES OUBLIÉS DES DIEUX ET DES HOMMES DEPUIS PLUS DE DEUX MILLE ANS. CES ROYAUMES SITUÉS AU NORD DE LA SYRIE ET AU SUD-EST DE LA TURQUIE ACTUELLE REVIVENT AU TRAVERS DES STÈLES EN BASALTE, DES STATUES DE DIEUX HIÉRATIQUES ET DES IMPOSANTS LIONS GARDIENS QUI ORNAIENT JADIS LEURS CAPITALES.

 

ROYAUMES OUBLIÉS COMME DANS…?
TITAM - JDRMag46Oui, j’ai choisi le titre de l’expo comme un hommage à l’univers de D&D. C’est un petit clin d’oeil à ma passion de rôliste qui se double d’une réelle signification liée au contenu de l’exposition. En effet, les royaumes dont les oeuvres sont présentés sont inconnus du grand public et l’on peut dire que depuis l’antiquité ils ont sombré dans les abîmes de l’Histoire… Seul le texte biblique porte encore la mention de certains comme Karkemish ou Melid… Ce sont donc bien des Royaumes oubliés.

 

Vie et mort de l’Empire hittite, la grande puissance rivale de l’Egypte
Les Hittites, l’un des plus anciens peuples connus de langue indo-européenne, se sont sans doute installés en Anatolie au cours du IIIe millénaire av. J.-C. D’abord organisés en cités-États et royaumes indépendants, ils forment un royaume unifié qui deviendra un empire de plus en plus puissant tout au long du IIe millénaire av. J.-C. Le roi hittite Mursili Ier pille Babylone en 1595 avant notre ère et met fin au règne des derniers successeurs de Hammourabi. À son apogée entre 1350 et 1200 av. J.-C., l’Empire hittite est une puissance considérable, capable de rivaliser avec l’Assyrie ou l’Égypte. En 1274 avant J.-C., les Hittites affrontent Ramsès II lors de la célèbre bataille de Qadesh, relatée dans de grands cycles narratifs égyptiens et le poème de Pentaour, dont le Louvre possède un exemplaire sur papyrus.

L’Empire hittite à son apogée est évoqué dans l’exposition grâce à des oeuvres majeures de l’époque impériale provenant du pays hittite (au coeur de la Cappadoce actuelle en Turquie) et des colonies syriennes: Ougarit, Emar et Karkemish : des vases en argent en forme d’animaux, des figurines de dieux en or, des reliefs inachevés monumentaux en basalte figurant des sphinx, etc.

La chute de l’empire hittite survient vers 1180 av. J.-C. à la suite de bouleversements qui mettent fin à la civilisation palatiale du Levant à la fin de l’âge du bronze.

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Statue du dieu orage

Les royaumes néo-hittites et araméens entre continuité et rupture
Après la chute de l’Empire hittite, une mosaïque de petits États naissent sur ses ruines dès le XIIe siècle av. J.-C. À Karkemish et à Malizi / Melid, les nouveaux rois descendent en ligne directe des anciens gouverneurs hittites et par là même du grand roi hittite conquérant : Suppiluliuma Ier. Les royaumes de Gurgum, Kummuh, Adanawa ou le Tabal sont eux aussi dirigés par des rois d’ascendance hittite. En Syrie, au contraire, la majeure partie des anciens territoires de l’empire passe sous la domination d’un peuple de langue sémitique qui émerge à cette époque, les Araméens. Ceux-ci créent les royaumes de Sam’al, Arpad, Masuwari, Hamath, Bit-Bahiani ou encore Damas. Qu’ils soient Araméens ou descendants des rois hittites, les souverains de ces petits royaumes s’approprient l’héritage de l’empire disparu. Cela est notamment visible dans l’utilisation de noms de souverains anciens comme Suppiluliuma ou Muwatalli, dans la reprise des canons artistiques et architecturaux impériaux, ainsi que dans l’emploi de la langue et des hiéroglyphes louvites. Les rois de ces petits états décorent les villes avec d’impressionnants monuments de pierre racontant leurs victoires militaires et leurs relations privilégiées avec les dieux. Ils font ériger de grandes statues funéraires de leurs ancêtres, dont certaines mesuraient plus de trois mètre de haut, divinisés après leur mort. L’ensemble de sculptures monumentales le plus fascinant est celui découvert sur le site de Tell Halaf en Syrie, l’ancienne Guzana, capitale du Bit-Bahiani.

 

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Le baron Max Von Oppenheim devant une sculpture de TellHalaf

Max von Oppenheim et la découverte de Tell Halaf
En 1899, le baron Max Freiherr von Oppenheim (1860-1946), correspondant politique allemand basé au Caire, décide d’effectuer un voyage d’étude dans le nord de la Mésopotamie à la recherche de civilisations oubliées. Il entend parler, lors d’un dîner chez le cheikh kurde Ibrahim Pacha, d’un site appelé Tell Halaf sur lequel auraient été découvertes des statues monumentales d’animaux à tête humaine au nord de la Syrie actuelle. Il se rend sur place et découvre les sculptures lors de brefs sondages archéologiques. Il commence la fouille dix ans plus tard en 1911. Pendant deux ans, le baron et son équipe, qui comptera jusqu’à 150 ouvriers, dégagent les principales structures d’une ville araméenne datée du 10e siècle av. J.-C. et notamment l’impressionnant palais du roi Kapara. Une partie des sculptures monumentales qui décoraient ce palais est ramenée à Berlin où Max von Oppenheim ouvre un musée consacré à sa découverte dans une ancienne fonderie. Là, il dispose les sculptures de manière à reproduire l’entrée majestueuse du palais. Pendant les bombardements de la seconde guerre mondiale, le musée est ravagé par le feu d’une bombe au phosphore, en novembre 1943. Le basalte des sculptures, chauffé par l’incendie, explose sous le choc thermique provoqué par l’eau glacée pulvérisée par les pompiers. Des décombres, on retire alors 27 000 fragments qui sont entreposés dans les caves du Pergamon Museum. Il faut attendre le début des années 2000, pour que soit entrepris un patient travail de reconstitution et de remontage. Trois archéologues, trois minéralogistes et un technicien trient et identifient les fragments et dix-huit restaurateurs et deux artisans d’art reconstituent, à partir des 27 000 fragments, près d’une centaine de sculptures, d’éléments architecturaux et d’outils en pierre pendant dix ans, d’octobre 2001 à juillet 2010. L’exposition présente les pièces majeures de ce travail, notamment des lions, des sphinx et un griffon.

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Statue d’homme scorpion.

Les puissances voisines, des échanges culturels aux conquêtes
Les territoires contrôlés par les rois néo-hittites et araméens sont bordés par de puissants voisins avec lesquels les relations sont complexes: l’Urartu, la Phénicie et l’Assyrie sont les plus puissants.

Les Assyriens conquièrent un par un les États néo-hittites et araméens et les absorbent dans leur vaste empire s’étendant de la Perse à l’Egypte. Si ces conquêtes mettent fin à l’existence des royaumes néo-hittites et araméens, la culture néo-hittite et araméenne influence durablement l’empire conquérant. Les grands orthostates assyriens des palais de Nimrud, Khorsabad ou Ninive sont les héritiers de la sculpture monumentale syro-anatolienne, influencée à son tour par l’art assyrien dans les derniers siècles avant la conquête et la destruction des royaumes.

La langue araméenne se répand également dans tout l’empire et devient la langue la plus courante du Proche-Orient pendant tout le reste de l’antiquité.

Vincent BLANCHARD

 

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Pour leurs inscriptions sur leurs monuments rupestres ou sur leurs décors urbains en basalte, les Hittites et après eux les néo-Hittites et les Araméens utilisaient des hiéroglyphes appelés hiéroglyphes louvites. Ces hiéroglyphes n’ont a priori aucun rapport avec les hiéroglyphes égyptiens. Ils ont peut-être pour origine les premières écritures crétoises. On les lisait en boustrophédon. C’est-à-dire que la première ligne se lisait de droite à gauche puis la deuxième de gauche à droite puis la troisième à nouveau de droite à gauche et ainsi de suite.
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Figurine représentant un Dieu Hittite.

INSPIS
Les imposantes sculptures de basalte et les délicats petits dieux en or peuvent enrichir les descriptions de cités anciennes ensevelies par les sables et le temps pour des jeux à thématique plutôt Heroic Fantasy comme Runequest qui est en plein revival et dont l’univers est très axé sur l’antiquité, mais aussi Barbarians of Lemuria, Capharnaüm, Bloodlust, Conan ou encore Beasts & Barbarians. Les sculptures massives et hiératiques et leurs motifs de lions, de griffons ou de génies ailés à deux têtes seront parfaites pour évoquer les cités perdues explorées par vos joueurs. Elles vous permettront d’enrichir le côté mystérieux de ces villes qui n’évoquent ni l’Egypte ni la Mésopotamie mais quelque chose d’autre…

Bien entendu cette exposition est une mine pour les amateurs de L’appel de Cthulhu et de ses dérivés. L’histoire de la découverte de Tell Halaf par Max von Oppenheim, la création du Tell Halaf Museum à Berlin à la fin des années 20 et sa destruction pendant la seconde guerre mondiale forment une trame idéale pour un grand scénario sur de mystérieuses statues de dieux inconnus ramenées d’Orient. Cette histoire aurait même pu être écrite par Lovecraft lui-même.

 

 

ROYAUMES OUBLIÉS, DE L’EMPIRE HITTITES AUX ARAMÉENS – Musée du Louvre, jusqu’au 12 août 2019.

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