AUJOURD’HUI ON ACHÈTE DU VENT

TITAM - JDR MagD’entrée oui: on achète du vent
C’est un fait, bon nombre de rôlistes sont prêts à miser 150 € pour découvrir ce qui sera finalement réalisé un an plus tard (parfois plus). Car il faut bien l’avouer, en dehors des traductions, on sait rarement où on met les pieds. Pas de table des matières, une vague pagination, un prix et des promesses. Heureusement, les illustrations posent le décor, remplissent de fantasmes les pledgers potentiels et permettent de limiter les explications contractuelles du porteur de projet.

Pourtant, il y a parfois de quoi décourager la participation: un contenu énigmatique (Confidenza 2), un calendrier absurde (6 Suppléments pour Polaris 3), des contreparties incompatibles avec l’objectif financier du projet (Designers & Dragons), pas de système de résolution définitif (Nephilim Légende), un quick start offert à 100 000 € (7ème Mer) et j’en passe!

Donc OUI: tout pledger, backer, participant… le sait au plus profond de lui-même, sa participation au FP, CF, PP… se fait sur une promesse, plus ou moins crédible.

D’ailleurs, qu’est-ce qui peut bien faire la différence?

Les critères de choix ?
Ces dernières années ont constitué un retour d’expérience très important sur les financements participatifs. Voici les critères les plus significatifs:
• L’historique-rôliste du JdR est le premier critère de réussite. Si on observe les levées de fonds qui ont dépassé les 150 000 € depuis 2016 (Hero & Dragons, Masques de Nyarlathotep et le Jour de la Bête, Aventures – Le Jeu, Nephilim Légende, Laelith, Contrées du Rêve, 7ème Mer, Rôle’N Play, Rêve de Dragon, Knight : La Geste de la fin des temps, Vampire : L’Âge des Ténèbres), il est évident que le critère déterminant est l’ancienneté du JdR. Les JdR au prestigieux passé déchaînent les passions, ravivent les (vieux) souvenirs et drainent les participations financières.
• La qualité esthétique des illustrations. C’est le premier contact avec le public. Même si ce critère est difficilement mesurable (les goûts et les couleurs…), c’est le premier critère abordé par les critiques (web, blogs et youtubeurs). L’ajout d’illustrations aux ouvrages de Mindjammer en réponse aux demandes des souscripteurs est un bon exemple. D’autant qu’il se mesurait en temps réel à la VF de Fragged Empire sur la même plateforme de financement (Game on tabletop).
• L’éditeur porteur du projet. LA pierre angulaire du projet, c’est lui qui porte les clés de réussite du projet ; c’est lui qui communique (voir ci-dessous) et qui construit le plan de financement participatif. Le choix des contreparties, la communication, l’expérience et la réputation font recette. Il n’est donc pas surprenant de voir que les éditeurs détenteurs des plus grosses licences maîtrisent leurs CF. Après, qu’il s’agisse d’une cause ou d’une conséquence de la réussite, il n’y a qu’un pas!
• La communication. La préparation du financement, le teasing, la FAQ, le suivi, l’adaptation du projet de financement. L’art et la manière de solliciter l’envie est une clé pour la réussite d’un projet. La disponibilité, la portée de la communication et l’adaptation sont incontournable. Les derniers paliers dévoilés en fin de campagne de Nephilim Légende ou Knight: la Geste de la fin des temps ont été réfléchis, budgétés puis proposés au dernier moment.

D’autres critères sont régulièrement évoqués mais ne sont pas toujours déterminants:
• Le délai de livraison? C’est un facteur de motivation qui apporte une crédibilité supplémentaire à un éditeur. Mais il ne s’avère pas forcément être un critère déterminant. (Exemples: 7ème Mer, livré en PDF dès la fin de sa campagne et Nephilim Légende annoncé plus d’un an après la fin de la campagne). Peut-être que les rôlistes sont devenus plus méfiants quant à la capacité des éditeurs à tenir leur calendrier? Toujours est-il que la tendance est en large amélioration.
• Le montant de la contrepartie? Il est surprenant de voir combien le terme «banquier» est cité dans les commentaires des campagnes. On lit régulièrement que le montant des contreparties est trop élevé. Pourtant, ce n’est visiblement pas un frein car la contrepartie favorite va de 81 € à 238 € ! Pour Les Masques de Nyarlathotep et le Jour de la Bête, cinq cent une personnes ont acquis une contrepartie de 238 €.

Chaque nouveau projet apporte sa pierre à l’édifice, avec de nouvelles idées pour se démarquer. A l’arrivée de l’été, on se souvient de Raoul qui avait mis à l’honneur nos barbecues!

Ces critères sont loin d’être exhaustifs. Et, comme nous l’avons vu, plusieurs restent relatifs et largement soumis à la sensibilité de chacun. Mais il existe un critère qui n’a, à ma connaissance, jamais été évoqué.

Car le crowdfunding offre une «expérience» toute particulière qu’il est difficile de mesurer…

Même si les rôlistes achètent des produits fantasmés, ils ne pourchassent pas uniquement le produit. En réalité, tout ce qui draine les économies des rôlistes, ce n’est pas de «l’air-JdR» (vous connaissez déjà l’air-guitare?) mais l’espoir; le Rêve. Car le rôliste n’achète pas forcément du vent; il achète du RÊVE!

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Au final?
Reprenons. On adhère à un projet, pour la promesse que lui (ou son porteur) nous fait. Là, sous la lumière des projecteurs, devant cet écran de fumée enchanteresse, nous rêvons. Nous fantasmons sur ces univers pleins de promesses. Les illustrations sont une aide précieuse.

Mais le prix n’est pas anodin, alors on raisonne. On étudie, on compare les paliers, on peste sur l’absence d’offre aux boutiques. On supplie les éditeurs de transformer l’objet de nos convoitises en contrepartie. On flood, on râle. On re-compare, interroge la communauté sur les raisons d’adhérer aussi au projet. On partage alors notre avis personnel. On cherche des arguments. D’abord dans les commentaires, puis sur les réseaux sociaux. On cherche, par tous les moyens, à se convaincre de l’intérêt du projet.

Là, sous nos yeux, un changement en nous s’opère, souvent en quelques jours à peine. Inexorablement, quand on commence à suivre avec assiduité un crowdfunding, on termine par le rejoindre. On devient acteur du projet quand notre contribution est enregistrée. Dès lors, sa réussite nous concerne. Alors, peu à peu, on diffuse les news, prodigue des conseils, partage les bonnes idées que l’on a vu dans les campagnes de financement précédentes. On tente de corrompre nos proches, on encourage l’éditeur, on défend les choix du projet. Au final, on devient un ambassadeur du projet.

Alors, le rôliste a franchi le cap. Il vit à travers les espoirs d’une communauté. Il a laissé son nom aux crédits que lui seul consultera à la réception du PDF. Il n’y jouera probablement jamais. Il faut dire qu’il joue moins maintenant; les enfants, le boulot…. Mais il a maintenant les moyens d’acheter et de revivre des vieux souvenirs. Alors pourquoi s’en priver?

C’est peut-être pour cette raison que le délai de livraison n’est pas un frein (quoi qu’en disent les râlistes). Le temps qui s’écoule entre la participation au projet et sa livraison n’est pas (toujours) déterminant tant que le sujet occupe l’esprit du baker. Si plus tard, un nouveau JdR vient embrasser la passion du même baker, tant pis. La première contrepartie l’aura fait rêvé, un temps, et sera simple remplacée.

Elle fera tôt ou tard l’objet d’un heureux acquéreur qui récupèrera un JdR quasiment neuf.

Au final, quel que soit l’objet pledgé, la forme et même le fond ne sont pas l’unique intérêt des participants au financement. Le financement participatif représente aussi l’opportunité d’une reconnaissance. Il légitime l’avis, la critique, le commentaire… et les râleries. D’ailleurs, dans son financement de L’Appel de Cthulhu V7, l’éditeur posait les bases sans détour: «Ce dispositif permet d’inscrire le nom des souscripteurs dans Le Manuel du Gardien et Le Manuel de L’Investigateur, via le Mémorial. […] C’est le moyen dont disposent les joueurs pour inscrire leur nom dans la légende de L’Appel de Cthulhu!»

Le financement participatif permet de soutenir un projet et par extension de vivre par procuration à travers cette oeuvre. Et donc qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse!

En résumé, nous n’achetons pas (que) du vent mais (aussi) du rêve. Le rôliste n’est-il pas un Voyageur immobile?

Vivement le prochain financement!

Nicolas Yodamister Tauzin

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