L’HISTOIRE DANS LA PEAU

TATOUAGES

«VOUS NE FEREZ PAS DE TATOUAGE» DIT LE LÉVITIQUE (19-28). ET POURTANT, ON EN TROUVE PARTOUT. VOICI QUELQUES UTILISATIONS POSSIBLES DU TATOUAGE GLANÉES AU COURS DE L’HISTOIRE OCCIDENTALE, DE FAÇON À POUVOIR INSCRIRE LES CARACTÉRISTIQUES DE VOS PERSONNAGES DIRECTEMENT DANS LEUR CHAIR.

TITAM - JDR Mag 28 - HISTOIRE DANS LA PEAUProtection sacrée
Malgré l’interdit religieux, les Croisés se marquaient d’un signe de croix pour pouvoir être enterrés chrétiennement, tout comme certains pèlerins, tels ceux de Notre-Dame de Lorette en Italie, qui, jusqu’à la fin du XIXe siècle, pouvaient se voir inscrit le monogramme du Christ ou bien la date de leur venue sur les lieux saints. Il en allait de même pour le pèlerinage à Jérusalem.

On retrouve ces signes religieux sur les corps des hommes de milieux populaires au XIXe siècle, ainsi que les détenus et les marins, qui placent leur destinée tragique sous la figure du Christ, considéré comme victime de l’injustice sociale.

Si le Lévitique condamne le tatouage comme atteinte à l’oeuvre de Dieu, le Coran est moins précis mais le tatouage est également mal vu pour des raisons similaires. Un Hadith énonce d’ailleurs: «Maudite soit celle qui tatoue, qui se fait tatouer». Mais la pratique du tatouage est antérieure à l’Islam notamment chez les Berbères et les Bédouins. Dans ce cas, on pratique surtout des tatouages au henné, évidemment figuratifs, apposés par les femmes. Ces décorations visent principalement les environs des orifices du corps dans un but protecteur contre la maladie et le mauvais oeil: bouche, menton, narine, vulve, tempes, voire chevilles à cause du lien avec la terre.

Marque d’infamie
En 440 avant notre ère, lors de la guerre entre Athènes et Samos, les prisonniers sont marqués dans chaque camp: les Athéniens sont marqués d’un vaisseau de guerre sur le front, et les Samiens arborent une chouette au même endroit.

Plus tard, la lettre M. est imprimée sur le front des mendiants professionnels de la France du XIVe siècle.

Le Code noir prévoit, au XVIIe siècle, que les esclaves en fuite se verront subir, outre l’ablation des oreilles puis d’un jarret, le tatouage d’une fleur de lys sur une épaule, puis sur l’autre en cas de récidive. La flétrissure n’est abolie en France qu’en 1852.

Symbole du groupe
On trouve des tatouages corporatifs jusqu’à fin du XIXe siècle chez les artisans spécialisés de France et d’Italie : un pain ou un pétrin pour les boulangers, un fusil et un pistolet pour les armuriers, une tête de boeuf pour les bouchers et ainsi de suite. Les légionnaires romains se tatouaient sur le bras droit le nom de l’empereur et la date de leur incorporation, d’autres soldats les imiteront ainsi que les marins. Si le tatouage comme symbole de virilité et de résistance à la douleur est principalement positionné sur les bras, on en trouve à peu près partout: poitrine, cuisses, mains, fesses, verge, etc. Les soldats valorisent l’appartenance à une arme, les campagnes exercées, les proclamations de foi patriotique, sans oublier les figures sexualisées, mais aussi des slogans antimilitaristes («Ma haine aux gradés» ou «Merde» dans la paume droite, celle du salut militaire).

Les marins illustrent leurs différentes escales, mais affectionnent aussi des figures féminines et des instruments maritimes. Les signes religieux permettent encore d’être enterré en terre consacrée en cas de décès.

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Pour approfondir le sujet, vous pouvez aller visiter la très belle exposition du musée du quai Branly jusqu’au dimanche 18 octobre 2015: Tatoueurs, tatoués. Vous pourrez ainsi contempler de très belles oeuvres, à l’image des photos que nous reproduisons ici.

À la marge: freaks, voyous, prostituées
Le tatouage est redécouvert avec Cook en 1769 quand il débarque à Tahiti. Les indigènes donnent à cette pratique le nom de tattaw. Mais dès 1691, un autre indigène intégralement tatoué est emmené en Angleterre et exhibé. Pour pimenter la présentation, on lui construit une histoire sur mesure: originaire des Philippines, Gialo a été capturé par le roi de Mindanao et tatoué de force avant d’être vendu comme esclave. Barnum exhibera dans son cirque un dénommé Constantin lui-même intégralement tatoué. Le souteneur est souvent à l’origine des tatouages des prostituées qui, en outre, fréquentent des populations déjà largement tatouées. Le tatouage est alors une marque d’appartenance («J’appartiens à…») mais aussi une dédicace amoureuse («J’aime…»). Quand l’amant change, il suffit de percer le coeur d’une flèche avec un second tatouage désignant le nouvel élu. Trois points en triangle signifient «Mort aux vaches» et l’argot du milieu nomme le tatouage le «bouzille» qui signifie également travailler vite et mal.

Les Apaches, ces bandes de jeunes délinquants du début du XXe siècle, font du tatouage un signe de ralliement, comme un grain de beauté sur la joue droite, ou bien une étoile.

Les détenus affichent ainsi leur rejet de la société («OEil pour oeil», «ni dieu ni maître», «vivre libre»…) et leur soumission au destin («Souffre et tais-toi», «Né pour perdre», «Fatalitas»…) ou encore leur volonté de faire justice eux-mêmes («Sans pitié», «engeance», «Ne pardonne jamais»…). L’humour y a aussi sa place: on se tatoue des pointillés sur la nuque avec «A découper suivant les pointillés» pour narguer la guillotine. Des pieds ou des fesses affichent: «Je sens le lilas»; les bas-ventres: «Plaisir des dames» ou «Robinet d’amour». L’orientation sexuelle joue aussi: les lesbiennes sont réputées apprécier les tatouages, comme les homosexuels s’en servent pour afficher leur spécificité (« Ami du contraire »). Le tatouage marque tant la marginalité et forme parfois un curriculum vitae si complet que les truands s’en méfient après la Première Guerre mondiale: ce signe pourrait les trahir auprès de la police.

Une réappropriation intervient au cours des années 1970, d’abord par les hippies qui utilisent les décorations corporelles comme un lien avec le cosmos et un appel à l’autre. Le tatouage est repris par les skinheads dans une optique résolument différente: ils cherchent à inquiéter avec des têtes de morts, des divinités antiques, des symboles guerriers, des emblèmes nationalistes. Les punks en proposent une autre utilisation qui met en relief le mépris du monde et le caractère dérisoire de conventions sociales fondées sur l’apparence. Au «Peace and Love» des hippies, les punks répondent ironiquement par le «Hate and War».

Fabien Clavel.

QUELQUES PERSONNAGES TATOUÉS:

Milady de Winter: espionne au service du cardinal de Richelieu, elle porte sur l’épaule la marque de sa trahison de son ancien amant et de son mari Athos (Dumas, Les Trois Mousquetaires).
Queequeg: harponneur sur le navire du capitaine Achab, cannibale revendiqué, il a le corps couvert de tatouages de carreaux sombres, jusque sur le visage (Melville, Moby Dick).
L’officier de la colonie pénitentiaire: il manie une machine complexe qui imprime dans la chair des condamnés le motif de leur condamnation, ce qui a pour résultat final de tuer le condamné (Kafka, Dans la colonie pénitentiaire).
Le matelot tatoué: son corps est tatoué d’une chasse au renard avec des cavaliers et des chiens qui descendent en spirale autour du torse, pour aboutir au bas-ventre où l’on n’aperçoit que la moitié du renard entré dans son terrier (Loti, Mon frère Yves).
Michael Scofield: ingénieur en génie civil, il se fait enfermer en prison pour libérer son frère grâce aux plans qu’il s’est fait tatouer sous l’apparence d’une fresque d’inspiration gothique (Prison Break).

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