GN ET COSTUME

À L’INVERSE DU JDR, OÙ L’ALLURE DU PERSONNAGE NE LUI EST SOUVENT QU’UN SUPPLÉMENT D’ÂME, EN GN, ELLE EST LA PREMIÈRE IMAGE QUE LE JOUEUR RENVOIE AUX AUTRES. C’EST ELLE QUI LE FAIT EXISTER AU MONDE, AVANT MÊME LES MOTS ET LES ACTES.

 

Cet article vise à faire connaître l’univers des jeux de rôle Grandeur Nature. Assez proches du JdR sur table et pourtant tellement différents, les GN se multiplient, les joueurs sont de plus en plus nombreux et les genres abordés de plus en plus divers. Chaque numéro sera l’occasion de présenter ces univers et leurs richesses. La parole sera donnée à un professionnel qui donnera un éclairage sur le lien entre son travail et l’univers des Grandeurs Nature. Suivra une critique d’un Grandeur Nature, permettant de découvrir les nombreuses facettes de ce loisir.

 

L’ATELIER DES VERTUGADINS

Le métier de costumier
La vocation du costume vient souvent d’une passion, avant d’être envisagée comme un métier à part entière. Certains costumiers naissent dans l’environnement du théâtre ou de la mode, mais beaucoup découvrent cet univers par des biais détournés.

Les mondes imaginaires sont souvent une porte d’entrée pour celles et ceux qui s’engagent dans cette voie car la culture geek a toujours fait la part belle au costume. Films de genre, BD, littérature, cosplay, jeu de rôle sur table et Grandeur Nature, autant de domaines où les amoureux de personnages hauts en couleurs trouvent leur inspiration. Aujourd’hui, de nombreux amateurs se lancent dans l’aventure, s’appuyant sur les réseaux sociaux pour diffuser leur style, mais bien peu parviennent à vivre de cette activité exigeante où le talent seul ne suffit pas: constituer une clientèle, communiquer, acquérir une image de marque et se renouveler sans cesse ne sont pas choses aisées…

Lumière sur un atelier de costumes
Initialement fondé par Émilie Monchovet et Guënic Prado, l’atelier des Vertugadins relève ce défi permanent depuis dix ans et fait vivre aujourd’hui cinq passionnés aux parcours singuliers.

L’héritage culturel d’une famille de denteliers prédisposait Émilie à se diriger vers cet artisanat d’art, bien que la vocation lui soit
venue sur le tard, après quelques années chez Multisim, où elle a nourri son univers d’influences très diverses et s’est formée à la gestion d’une entreprise. Quant à Guënic, élevée dans le milieu du théâtre, elle a toujours côtoyé les planches et les techniciens du spectacle vivant : son apprentissage en design et création de costumes était presque une évidence pour elle.

Pour ces deux-là, le jeu de rôle en Grandeur Nature a été le déclencheur, l’occasion de créer leurs premières tenues complètes, et de se frotter aux exigences de la confection sur mesures. Car dans ce milieu d’amateurs souvent éclairés, chaque costume est avant tout un personnage, du plus rustre des paysans au plus précieux des dandys. Et chaque personnage un client… du plus indécis au plus rigoureux! Satisfaire à la fois les exigences du thème et celles du commanditaire, savoir surprendre tout en intégrant les références de chacun, équilibrer l’amour du travail bien fait et la rentabilité d’une entreprise, et toujours démarcher de nouveaux clients: autant de chausse-trappes, autant d’aventures que l’on affronte mieux en équipe.

Au fil des projets et des collaborations, le duo s’est élargi à de nouveaux venus: Clémentine, touche-à-tout, titulaire d’un Diplôme des Métiers d’Arts, Quitterie, rigoureuse, formée à la coupe et à la confection et Yann, spécialisé dans le cuir et les armures. C’est en multipliant les personnalités que l’atelier a su se diversifier, chacun apportant sa pierre à l’édifice commun, jusqu’à avoir l’opportunité de prendre en charge des projets de plus en plus ambitieux: théâtre, opéra, défi lés, conventions de jeu vidéo, séries télé, cinéma…

En parallèle, par goût et par envie, un stock de costumes s’est peu à peu constitué, tous disponibles à la location, vitrine d’un savoir-faire qui doit sans cesse se renouveler pour continuer d’exister à une époque où les univers imaginaires se popularisent et se développent, mais où le budget culturel fond comme peau de chagrin… Un paradoxe bien triste auquel sont aujourd’hui confrontés tous les artisans de la culture, ces irréductibles qui se battent pour faire de leur rêve une réalité et de leur passion un métier.

COSTUME ET PERSONNAGE

Tous les joueurs aiment créer leurs personnages. Écrire leur histoire, développer leur mode de pensée, définir leurs habitudes et leur comportement, ciseler leurs caractéristiques et leurs compétences est un plaisir très particulier. C’est le moment où le rôliste, avant d’être emporté dans le tourbillon du scénario, est lui-même un auteur, un dramaturge libre d’inventer son propre cadre, ses propres règles.

C’est aussi le moment où il définit les contours de son alter ego, cet avatar qu’il va suivre tout au long de la partie, semblable à lui ou différent en tous points: un nouveau corps à incarner, une nouvelle apparence à revêtir, un nouveau masque à porter sans entrave.

En GN, les données sont très différentes. Si le principe de jouer un rôle dans une histoire, une époque, un cadre préétablis reste le même, l’interprétation du personnage change radicalement : la simulation du jeu permet bien des choses en réalité impossibles, mais nul ne peut s’affranchir de son propre corps!

Dès lors, le costume prend toute sa place. À l’inverse du JdR, où l’allure du personnage ne lui est souvent qu’un supplément d’âme, en GN, elle est la première image que le joueur renvoie aux autres. C’est elle qui le fait exister au monde, avant même les mots et les actes.

Un bon costume en dit long sur le personnage qui l’endosse: le choix des étoffes définira son milieu d’origine, son niveau d’éducation, l’emploi des couleurs son appartenance à un groupe, la coupe du vêtement son désir de se mettre en valeur ou au contraire de passer inaperçu… même la patine, le vieillissement du costume, pourra témoigner de ses habitudes de vie, voire même de son code de valeurs! Un capitaine de frégate sera plus soigné que le dernier des flibustiers, un bretteur émérite affichera une autre classe qu’un spadassin de ruelles, le frère du Roy sera entouré d’une autre aura qu’un courtisan fraîchement débarqué à Versailles…

Mais le costume n’est pas seulement une image adressée aux autres, c’est également le lien direct entre le joueur et son rôle. Les comédiens de théâtre disent souvent que revêtir son costume, c’est se mettre dans la peau de son personnage. Il en va de même en GN: un bon roleplay sera toujours appuyé par un costume approprié et un joueur bien habillé sera toujours plus crédible s’il porte son rôle comme une seconde peau.

Pour un GNiste, le costume n’est donc pas pris à la légère: il se prépare souvent longtemps à l’avance, il se construit avec patience et investissement. Il demande souvent du temps, autant de moyens, mais de plus en plus de joueurs se donnent la peine de s’y consacrer car ils savent que leur expérience de jeu n’en sera que meilleure. Les associations de GN l’ont bien compris, qui depuis des années ne cessent d’élever leurs exigences dans ce domaine: rien de tel qu’une galerie de personnages bien campés pour que le dépaysement soit complet et pour que les souvenirs de ces parenthèses hors du temps restent impérissables.

 

 

ATELIERS LES VERTUGADINS – 12 Rue Francisco Ferrer, 94200 Ivry-sur-Seine
Site: www.vertugadins.com
Crédit photo: Stéphane Casali
(www.unjourdansletemps.com)

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